Vu Black swan.
[spoiler]Pour résumer par rapport à ses influences, je dirais qu'il s'agit d'un croisement entre The red shoes (vous l'avez vu? parce que le rapprochement est inévitable, que ce soit au niveau du milieu du ballet comme recherche de la perfection en fuyant toute son humanité propre ou pour le fait de vivre le ballet qu'on joue, avec un directeur de ballet mille fois plus intéressant et complexe que Cassel), Perfect blue pour le côté schizophrénique du personnage, la dualité entre une puérilité enfantine conservée (les chambres) et le côté objet sexuel, et aussi le maternage excessif dans le milieu du spectacle, où on finit par ne plus s'appartenir, et éventuellement All about Eve pour la terreur du temps qui passe dans le monde du spectacle, et le fait de toujours remplacer un aîné respecté en même temps que de craindre de se faire bouffer par la jeunette admirative, mais là on retrouve ça ailleurs. Autant le dire, selon moi du moins, il s'agit d'un bon goût prononcé puisque tous ces films font parti de mon top 100, et au final on n'a pas vu ce genre de choses mille fois contrairement à ce que dit Lyas, comme les films d'ado (style les puantes productions Apatow) ou les questionnements de quarantenaires (spéciale cinoche français des dernières décénies). L'idée de base d'Aronofsky, c'est de mixer The red shoes avec Perfect blue. Moi je trouve ça franchement intéressant, même si ça ne peut pas donner une Date du cinéma. Combien de films peuvent se targuer d'une telle ambition ces derniers temps (bon, les détracteurs diront "prétention", mais qui ne tente rien n'a rien)?
Si les moyens qu'il emploie pour décrire la perte de repères physiques de Nina sont ultra classiques, l'histoire à proprement parlé est riche et par conséquent intéressante et pas vue et revue. On a un personnage qui se retrouve à devoir chercher la facette sexuelle de sa personnalité alors que toute sa vie elle a cherché à l'effacer, et en cherchant le black swan refoulé en elle (je suis un peu embarrassé de dire ça, mais la scène de masturbation est à mes yeux la plus réussie du film du point de vue de la tranformation), elle est terrifiée de le voir chez une autre danseuse, qu'elle recréée mentalement pour traduire le combat mortel black/white avec ses hallucinations, en même temps que le white swan et le black swan en elle troublent sa perception. Vue comme cela, l'histoire n'est pas aussi rebâchée et vide que cela. Pour que le film soit plus personnel et donc soit plus imprévisible, il aurait fallu laisser les personnages vivre plus je pense, ou alors avoir une approche dans la mise en scène plus ambigüe, comme dans Repulsion de Polanski.
Au final, je n'ai pas vraiment aimé, mais je me refuse d'être aussi sévère que Lyas. Au moins, Aronofsky propose vraiment quelque chose, il "donne" au public. Ce que les gens appellent "manque de subtilité" est plus précisément, selon moi, une absence totale de second degré. D'un côté c'est réconfortant d'avoir un réalisateur qui n'essaie pas de jouer au malin avec son (non) sujet en montrant comment il est "au-dessus" (Nouvelle Vague, crève!), mais d'un autre côté Aronofsky ne doute de rien et parfois il se fourvoie méchamment, en utilisant des effets lourds et pas forcément appropriés (un peu d'influence de Bresson lui ferait le plus grand bien ^^). Il en fait trop dans sa mise en scène (le rôle des miroirs est trop appuyé par exemple), mais au niveau de sa direction d'acteurs je le trouve assez juste en général, et il évite de prendre les spectateurs pour des cons, ce qui est devenu rare à Hoolywood.
Une chose que j'ai identifiée comme responsable du fait que dans son illusion Perfect blue est tellement plus efficace que Black swan, c'est l'absence de fausse piste dans ce dernier. Très vite Nina (j'imagine qu'Aronofosky voulait faire explicitement à la Mima de Perfect blue avec ce nom) a des visions, la seule question qu'on est amenée à se poser c'est "réel? halluciné?". Ceci dit, S. Kon visait le suspens, laissant le temps à son personnage de vivre et donc de s'interroger (en même temps que d'évoquer indirectement sa solitude et son "insignifiance" subie, en particulier lors de la scène du bain, qu'Aronofsky reprend mais dans une optique "horreur"), alors qu'Aronofsky vise une folie plus viscérale que mentale (le film est éprouvant mais pas stimulant intellectuellement, on ne se dit jamais "ah, mais c'était donc ça" comme on peut le faire dans un bon Hitchcock). Malheureusement, pour cela, il utilise sans vergogne des moyens éculés, cédant à la facilité, en particulier au niveau du son, comme l'a fait remarquer Lyas. On se retrouve donc plus avec un film d'épouvante que de suspens, et un peu ridicule (très vite on croit entendre les classiques rires de fantômes). Ce que j'ai trouvé pesant aussi, et c'était déjà dans The wrestler (les autres aussi? je ne me souviens plus), c'est la caméra portée à l'épaule qui suit le personnage, avec les jump cuts. J'imagine qu'il voulait coller au plus près du personnage, qu'on n'ait aucun recul par rapport à elle (combien de scènes sans elle?). N'empêche, ça m'épuise.
Pour ce qui est de la caricature des personnages, je mettrais cela sur le fait qu'ils n'existent que par leur rôle (d'où les prototypes) gravitant autour de Nina. Au fond, le sujet du film impose de ne tourner qu'autour de Nina, donc même si j'aurais aimé mieux connaître les autres personnages, j'accepte.
Après, pourquoi partage-t-on totalement le point de vue paumé de Mima et pas celui de Nina, outre l'économie d'effets de flippe chez Kon? Je l'ai clairement ressenti, mais à chaud je ne me sens pas capable de l'expliquer. Est-ce parce que la banalité de Mima et le contraste avec son statut de star jetable émeut, alors qu'on ne sort jamais de la schizophrénie de Nina? Peut-être que la transformation "physique" de Nina pousse à être spectateur... (Kon fait preuve de beaucoup plus de retenue pour traduire le glissement vers la folie de Mima, sauf la fin où il fait preuve d'un lyrisme fantasmatique réjouissant)
En tout cas, voir ce film renforce mon estime pour Perfect blue (pas si facile donc, de filmer la schizophrénie), je me le referais bien dans les prochains jours :p.
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