De son côté, Ignis rêvait dans un sommeil tourmenté de flammes, de ruines et de terreur, sa terreur.
Un temple ravagé par le feu s'écroulait autour de lui et il assistait, impuissant, au massacre de fidèles venus prier : hommes, femmes, et enfants sans distinction. Tout autour de lui n'était que mort, destruction et désolation. Tout autour de lui n'était que sang, sueur, et larmes. Tout autour de lui n'était que peur, que peur, que peur...
Il aperçut une petite fille, terrée au pied d'une colonne, sa tunique encore tachée du sang de sa mère. Aucune des créatures informes et menaçantes ne la vit dans un premier temps, mais l'une d'entre elles, alertée par un sanglot étouffé de la jeune enfant, se tourna dans sa direction et se dirigea vers elle avec une grimace avide. Ignis voulut crier, mais de sa bouche ne sortit aucun son. Il voulut s'interposer, mais le monstre le traversa comme s'il n'était qu'un courant d'air. Ignis était comme un fantôme, il était un observateur à la fois invincible et impuissant. Il détourna les yeux lorsque le monstre atteignit la fillette, et d'une silencieuse prière il accompagna l'âme innocente vers le firmament...
Autour de lui continuait le chaos. Destruction, mort, massacre, feu, cris, flammes, sang, lames, ombres, désespoir, larmes, se mêlaient tout autour de lui. Rien ne semblait pouvoir arrêter ce mécanisme de haine...
...Et il la vit. Seule. Silencieuse. Une jeune femme entourée d'un halo bleu. Et dans ses yeux aussi profonds que l'océan il vit la tristesse. La tristesse et l'impuissance. L'impuissance et la colère.
Elle plongea son regard dans celui du Templier. Sa bouche s'ouvrit, mais elle non plus ne pouvait émettre de son. Ignis ne put comprendre sur ses lèvres que quelques mots : "Va ... amis ... temple ... océan ... sauver ... soleil". Soudain tout se brouilla autour du templier. Quand tout redevint net, il vit une chandelle presque éteinte, entendit au loin un loup, et un vent frais vint lui caresser le visage. Il se releva en sueur de son lit de fortune fait de caisses et de pailles, et fit quelques pas vers la porte de la chaumière. Deux hommes parlaient à voix basse près du feu de camp. Il fut tout d'abord tenté de les rejoindre, mais à la compagnie des hommes il préféra pour le moment celle de la lune et des étoiles. Ce n'était pas le premier rêve de la sorte qu'il faisait. Il avait déjà à plusieurs reprises vécu des cauchemars similaires. Et à chaque fois cette jeune femme aux cheveux bleus lui était apparue. A chaque fois elle avait essayé de lui parler. Mais c'était la première fois qu'il comprenait quelques unes de ses paroles.
Il n'avait jamais parlé de ses rêves à quiconque à la commanderie de Thalla, de peur d'être considéré comme un hérétique. Il savait que désormais qu'il avait quitté son groupe de Templiers il pouvait se confier à quelqu'un, mais ce fardeau était encore trop lourd et il préféra le porter seul pour le moment.
Seules la lune et les étoiles le virent pleurer cette nuit là. Il s'étendit à flanc de colline et s'abandonna à un sommeil vide de tout rêve, le front posé sur l'herbe fraîche et humide des premières gouttes de la rosée du matin.