Pendant ce temps, Ignis, enfin soutenu par ses propres jambes, explorait la cité. Il était encore faible, aussi dut-il plusieurs fois s'asseoir sur une marche ou une stèle. Tout ici lui apparaissait magnifique. Il n'avait jamais vu de telles architectures, et voir tant de personnes pleines de vie grouiller tout autour de lui le ressourçait, lui qui avait l'espace d'une nuit tutoyé la Mort.
Deux jeunes femmes passèrent à côté de lui en riant. Il leur retourna leur sourire et poursuivit son exploration. Contrairement aux autres membres du groupe, il n'avait rien à acheter ici. De toute façon, il n'avait pas d'argent...
Il arriva devant un bâtiment à la fois simple et magnifique, dont la porte était ouverte. Lorsqu'il y pénétra, il sentit une grande sérénité, et décela une source spirituelle de grande puissance en ce lieu. Ce ne pouvait être qu'un temple. Trois hommes étaient en discussion au pied d'une estrade. L'un d'eux, vêtu d'une robe très différente des autres le vit s'approcher et s'avança vers lui. "Bonjour, jeune étranger", lui lança-t-il d'une voix apaisée. "Euh...Bonjour", répondit Ignis après une hésitation.
Le prêtre reprit : "Je perçois en ton âme une puissance peu commune. Et pourtant, cette puissance est voilée par une grande tristesse qui l'empêche de luire, d'illuminer chacun de tes actes. Peut-être cependant puis-je aider ton âme à soulever une partie de ce voile. Je ne peux réduire ton fardeau, mon jeune ami, mais je pense pouvoir aider ton esprit à briser l'une des chaînes qui le retient prisonnier. Suis moi". Sous le choc de ce qu'il venait d'entendre, Ignis resta figé quelques secondes, puis il vit le visage bienveillant du prêtre qui l'invitait à le rejoindre. D'un pas peu assuré, il suivit celui-ci dans une aile annexe, manifestement très ancienne, du temple. Tous deux s'arrêtèrent devant une petite porte de bois et de pierre, sur laquelle était gravé un étrange motif : une lune entourée de sept oiseaux et traversée par une lame.
Le prêtre reprit la parole d'une voix douce. "Le savoir enfermé dans cette pièce est ici depuis des millénaires, et il est peut être dangereux. J'en suis le gardien, mais je n'ai de pouvoir que sur cette porte. Mon aura est insuffisante pour que je puisse la franchir. Toi en revanche, tu le pourras. Je ne sais pas ce que tu vas trouver au fond de ce couloir, mais quoi que ce soit, cette chose t'appelle, elle appelle ton âme." Ignis sut que le prêtre disait vrai, car il sentait que la source spirituelle qu'il avait détecté à son arrivée dans le temple était désormais proche. Elle l'appelait, non pas par son nom, mais par un symbole : un oeil duquel coule une larme. Elle l'appelait, lui, le pèlerin des douleurs. Il ne savait pas pourquoi il avait reçu ce nom. Il savait juste, quelque part dans son âme... que c'était vraiment le sien, depuis toujours.
Le prêtre apposa son médaillon sur la porte, et celle-ci s'ouvrit sans fracas. Le Templier y entra et sans qu'il sache pourquoi, une larme se mit à couler de son oeil droit. La porte se referma en silence derrière lui. Il n'y avait ni torche ni fenêtre, et pourtant il ne faisait pas noir. Les murs eux mêmes semblaient dégager une légère luminescence bleutée et lorsqu'il passa le doigt dessus, il comprit que ceux-ci étaient recouverts d'une mousse phosphorescente.
Il se détourna du mur et poursuivit son chemin le long du couloir. Au bout de plusieurs minutes de marche il entendit très clairement un bruit d'eau ruisselante, comme une fontaine ou une rivière souterraine. Il marcha encore quelques centaines de mètres, et déboucha dans une vaste salle dont il ne distinguait pas le plafond tant celui ci était élevé.
De toute façon, même s'il l'avait voulu il n'aurait pu contempler le plafond tant la présence surnaturelle qui se dressait au milieu de la salle accaparait son attention. Il s'agissait d'une créature éthérée mais largement humanoïde, au visage paisible baigné d'une longue barbe.
Une voix caverneuse se fit entendre, sans pourtant que les lèvres de la présence n'aient bougé. "Bienvenue en ce lieu, pèlerin des douleurs. Tu as besoin de mon aide et je suis disposé à te la donner, en ces temps troublés. Mais tu devras auparavant prouver que tu es réellement digne de ce pouvoir. Trois guerriers sont déjà venus affronter cette épreuve au cours des millénaires passés. Tous étaient vaillants et dotés d'une grande force d'esprit. Ils ont cependant échoué. Tu devras réussir cette épreuve, seul, pour libérer l'âme que je garde prisonnière depuis si longtemps. Choisis ton arme, combattant ! Opteras-tu pour la voie de l'épée ? Lui préfèreras-tu celle de l'arc ? Ou ton choix se portera-t-il sur l'art de la lance ?"
Ignis n'avait pas vraiment le choix. Durant toute sa jeunesse il avait été formé au combat à la lance. Aussi répondit-il sans hésiter : "Je choisis la lance".
"Qu'il en soit ainsi!", prononça solennellement l'être éthéré, avant de disparaître brusquement. Une lance apparut soudain dans la main droite du Templier, qui réalisa soudain qu'il avait fait une erreur. Il ne s'agissait aucunement d'une lance telle qu'il les connaissait. L'arme qu'il tenait ressemblait certes vaguement à une lance, mais une lame affûtée courait sur une bonne partie de sa longueur et de mystérieuses inscriptions bleutées brillaient vivement à la surface de la lame.
Il n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps, car il sentit la présence revenir. Une chose cependant avait changé. Ce n'était plus le flot de spiritualité contrôlé qu'il sentait depuis son entrée qu'il sentait, mais une masse spirituelle incontrôlée et bien plus puissante qu'auparavant. La présence refit son entrée, et cette fois ce n'était plus un vieil homme. Ignis faisait maintenant face à une chimère éthérée.
Il brandit maladroitement l'arme qu'il avait reçue. Le fil de la lame était aussi le dernier qui le retenait en vie. Sans sa lance il était perdu, il le savait. Aussi raffermit-il sa prise sur la hampe. Au bout de quelques secondes, il réalisa que les techniques qu'il avait apprises avec les templiers ne pouvaient fonctionner avec cette lance, qui était à la fois trop lourde et trop étrange pour être utilisée comme il savait le faire. Aussi chercha-t-il désespérément alors que son adversaire se rapprochait dangereusement de trouver une bonne prise. Il parvint à peu près à trouver la bonne position et frappa trois coups de suite. La créature ne subit magré tout aucune blessure. Ignis écarquilla les yeux de surprise, et dans un éclair de lucidité pensa à se remettre en garde. Il n'en eut pas le temps, le monstre lumineux bondissant soudain sur lui. Il eut juste le temps de se préparer à encaisser le coup mais le choc fut suffisamment violent pour lui faire lâcher sa lance. La créature s'interposa immédiatement entre son arme et lui.
Ignis ressentit une vive douleur dans le bras gauche. Il tenta de lancer un sort de soin mais échoua. Une voix caverneuse retentit et proclama d'un ton triomphant : "Cette salle est protégée contre toute forme de magie. Tu ne peux lutter."
Ce constat plomba le moral du Templier, et la chimère entendit profiter de ce moment d'abattement pour porter le coup fatal. Cependant, une âme n'est jamais aussi dangereuse que lorsqu'elle est blessée. Aussi Ignis trouva-t-il la force d'esquiver le premier coup, puis de parer le second. Il jeta un regard vers son arme, mais son adversaire le vit et s'interposa de nouveau. Ignis continua cependant de courir vers son arme, malgré le monstre rugissant qui se dressait devant lui. Il feignit de vouloir glisser entre les pattes du monstre. Celui-ci se baissa pour capter sa proie mais Ignis mit à profit sa diversion réussie pour prendre appui sur le dos du monstre et sauter par dessus. Il était assez peu doué en acrobatie et retomba maladroitement sur son arme. Le tranchant de celle-ci lui entailla légèrement le bras. La chimère se retourna rapidement, furieuse d'avoir été dupée, mais ravie de constater que finalement, sa proie était toujours peu menaçante. Elle se mit à nouveau en position de combat. Ignis se remit péniblement debout, faisant face malgré sa douleur à son adversaire. Il tendit la lance devant lui, et ce qu'il vit le pétrifia : les inscriptions sur la lame de sa lance brillaient désormais d'un rouge vif, et sur le visage de la chimère apparut un profond étonnement. Elle continua néanmoins de menacer Ignis, puis bondit soudain à nouveau sur ce dernier, avec une force décuplée.
Ignis resta figé, tétanisé, et n'entama pas d'esquive. Devant l'imminence du choc il ferma les yeux. Soudain un violent éclat de lumière rouge jaillit de la lame de la lance et le temps sembla s'arrêter l'espace de quelques battements de coeur. La chimère s'arrêta brusquement, paniquée par ce vif éclair de lumière. Ignis tenait toujours fermement son arme. Ses paupières s'ouvrirent lentement, dévoilant des yeux couleur de sang. Le visage du Templier laissait désormais transparaître colère et détermination
Il n'avait plus peur désormais. La douleur n'avait plus de prise sur lui. Il s'avança lentement vers la chimère, qui ne savait que faire. Cette dernière découvrit une émotion dont elle ne connaissait pas le nom : la peur. La créature se rua sur Ignis avec l'énergie du désespoir. Le Templier n'eut aucun mal à éviter l'assaut désordonné du monstre et plaça une contre-attaque dévastatrice, tranchant avec la lame de sa lance le flanc de l'animal surnaturel en de multiples endroits. La chimère poussa un cri déchirant, et se retourna avec difficulté. Jusque là elle avait toujours infligé la douleur, jamais elle ne l'avait subie.
Ignis fixa de ses yeux rouges la tête chancelante de la chimère. La créature chargea une dernière fois, jetant ses maigres dernières forces dans la bataille. Ignis s'ancra au sol, et tendit sa lame devant lui. Le choc fut à nouveau très violent, mais cette fois ci Ignis y résista sans mal et la créature eut le crâne fracassé par la lance dans laquelle elle s'était empalée.
L'air se fit soudain moins pesant dans la vaste salle. Les inscriptions sur la lame de la lance redevinrent bleues, de même que les yeux d'Ignis. Du cadavre de la chimère de lumière s'éleva une forme que le templier reconnut aussitôt. Il s'agissait du vieil homme qui l'avait accueilli dans cette salle. Ce dernier affichait désormais un léger sourire. "Jeune guerrier, tu m'as...délivré...enfin... je t'en serai à jamais reconnaissant. Désormais le repos éternel m'est offert et mes souffrances s'envoleront à jamais. Tu as réussi à découvrir tout seul ce pouvoir qui est en toi depuis toujours. Lorsque tu portes une arme sacrée et que ton sang est versé, la douleur et la tristesse que tu transportes toujours en toi se muent en haine l'espace de quelques instants. Durant ce laps de temps, tu perds toute ton aura magique mais en retour tu infliges la peur à tes ennemis, et insuffles une confiance inestimable à tes alliés."
Le vieil homme poursuivit. "Ce talent t'appartenait et je n'ai fait que le révéler. Je ne t'ai en conséquence encore rien donné. Je t'offre donc la lame avec laquelle tu as combattu si vaillamment. Elle se nomme Divine. Prends en soin, et ne t'en sers que pour défendre les causes justes."
L'apparition faiblit d'intensité, à tel point que la silhouette du vieil homme était à peine perceptible. "Il est temps pour mon âme de s'endormir pour toujours. Reprends ton chemin, pèlerin des douleurs. Tôt ou tard la mission qui t'a été destinée t'apparaîtra. Il te faudra alors beaucoup de courage."
Sur ces derniers mots prononcés d'une coix très lointaine, la présence disparut. Ignis repartit vers le long couloir, puis vers la lumière.
Il se sentait désormais plus sûr de lui, enfin apte à aider efficacement ses amis. Mais pour l'heure il avait besoin de dormir. L'utilisation de son pouvoir avait en effet épuisé toute son aura magique, comme le vieil homme lui avait annoncé.
Divine en main, il retourna lentement vers l'auberge...