Allez-vous vraiment faire ça ?
Alors, vous allez vraiment faire ça ?
Vous les plus purs que d´autres, les plus intelligents que d´autres, vous les plus subtils, vous les cohérents, vous les fins stratèges, vous allez faire ça ?
Vous, les à qui on ne la fait plus, les durs du cuir, vous allez vraiment, en ne votant pas pour elle, voter pour lui?
Vous allez vraiment faire ça ? Vous allez le faire ?
Vous, les vrais de vrais de la gauche vraie, vous allez faire ça ?
Pour cinq ans ! Pour cinq ans, peut-être dix, vous allez faire ça ?
Vous, les toujours déçus de tout, vous les amers, les indécis décidés, les laves plus blancs que blanc vous allez faire ça ?
Mais pourquoi ? Parce que quoi ? Parce que jupe ? Parce que talons hauts? Parce que voix ? Parce que sourire, cheveux, boucles d´oreilles? Parce que vraie ?
Il n´y a rien qui vous aille dans son programme à elle, rien ?
Pas cinquante propositions sur les cents ?
Pas vingt ?
Pas dix ?
Pas une ?
Vraiment, rien du tout ?
Trop de quoi ? Pas assez de quoi?
Pas assez à gauche ? On voudrait, quitte à tout perdre, une campagne à gauche toute ?
Mais même l´extrême gauche, cette fois-ci, au deuxième tour ne joue plus à ce jeu-là. Peu importe, vous, vous allez y jouer ?
Le résultat du 21 avril 2002 ne suffit pas ? Non. On le refait en 2007, mais en mieux. Pas au premier tour, non, carrément au deuxième. C´est plus chic.
Que ceux qui ressemblent à Nicolas Sarkozy, ou qui croient qu´il leur ressemble, que ceux-là votent pour lui, quoi de plus normal. Que ceux qui lui font sincèrement confiance pour améliorer leurs dures vies, que ceux-là l´acclament et votent pour lui, quoi de plus normal. C´est même estimable.
Que les grands patrons votent Nicolas Sarkozy, pas tous d´ailleurs, loin s´en faut, non, mais par exemple les grands patrons de presse, qu´on a vu se si nombreux, si heureux, à Bercy avant hier, qu´ils votent pour leur copain, qui va vraiment améliorer leurs belles vies, c´est moins estimable, mais quoi de plus normal ?
Mais vous, une respiration possible, un air nouveau, un espace de travail politique, une chance espiègle, ça ne vous dit rien ?
Vraiment rien? Mais qu´est-ce qui vous fait si peur ?
Les Italiens ont enfin chassé Berlusconi, les Espagnols, après une grande douleur révélatrice, se sont débarrassés d´Aznar, et voilà que nous, à quelques milliers de voix près, nous allons repasser le plat de la droite dure ?
Il y a un pari à prendre contre une certitude sombre, et vous ne pariez pas ?
Quels désirs obscurs allez-vous satisfaire ? De qui donc, de quoi êtes-vous secrètement solidaires. Ce ne peut-être du bien de ceux qui ont besoin, vitalement, de mieux être. Vitalement. Maintenant.
Supporterez-vous dimanche soir d´apprendre qu´il a manqué une voix ?
Une seule.
La votre.
Je vous en supplie.
Ariane Mnouchkine