Tu veux me faire écrire un roman, Faizon ? 😃
Au passage, j'exprime ma honte du jour en faisant un appel à conseils : en dehors de deux ou trois films, globalement pas considérés comme ses meilleurs (en gros, j'ai dû voir Seven Swords, Le Syndicat du crime 3 - qui m'a énormément déçu, mais les conditions de production doivent expliquer une bonne partie des problèmes - et un polar mineur), je n'ai pas vu grand-chose de Tsui Hark, et suis globalement sceptique vis-à-vis du lui (la faute à ce fameux troisième volet du Syndicat du crime qui m'avait il y a un bon paquet d'années fait ressentir un certain rejet, probablement mal placé, du réalisateur) mais aimerait me tourner vers ce qu'on considère de supérieur chez lui. En dehors de The Blade, qu'on m'a toujours présenté comme incontournable, quelles œuvres de Tsui Hark me conseilleriez-vous en priorité ?
Ce point de vue ne m'étonne guère. Tsui Hark a fait tellement de films que oui, il en a fait des moins bons (à l'inverse de Kubrick qui s'est contenté de faire un film par décennie, l'est malin le bougre), et donc il se trouve que de nombreux spectateurs ont regardés deux ou trois films passables de sa part et s'en sont arrêtés là (ou alors sont restés à quais sur ses grands films, pourtant ça arrive régulièrement avec tous les grands cinéastes, non?). Bon je passe vite fait sur cette idée car j'ai du l'expliquer facilement trois fois sur ce topic.
Pour tout dire Seven Swords je l'ai découvert la semaine dernière, et j'ai du m'y reprendre à trois fois pour le finir: en clair j'ai pas aimé. A sa décharge, le film a paraît-il souffert de nombreuses coupes (on parle de une ou deux heures de métrage quand même hein), le problème étant que ces coupes sont à priori dûes à Tsui Hark lui même, donc... peut être qu'il s'est planté artistiquement aussi, même si certains en pensent grand bien. Bref. Le Syndicat du Crime 3, effectivement c'est pas un de ses plus appréciés (désolé je l'ai pas vu) mais je suppose que c'est en grande partie dû au fait qu'il se réclame des syndicat du crime donc (logique), saga pourtant produite par Tsui Hark (rappelons quand même que John Woo (un génie) n'existe pas si Tsui Hark ne va pas le chercher pour lui faire réaliser ce film, ça replace un peu les choses, merci) mais forcément Tsui Hark n'a pas vraiment la même approche du cinéma que John Woo et il cherchera donc à le montrer. Pour la petite histoire, Tsui Hark aurait été assez jaloux du succès retentissant du Syndicat du Crime (A Better Tomorrow le titre international connue par les hong-kongais, par ailleurs qui reste aujourd'hui l'un des trois ou cinq films préférés des hong-kongais, ça vous plante un succès !) et par la suite Tsui Hark sera jaloux de The Killer. Or, nombreux fans de cinéma asiatiques ont pris une "claque" lorsqu'ils ont découverts les films de John Woo, il faut aussi rappeler qu'à l'inverse de Tsui Hark le style visuel de Woo a été copié en occident très rapidement dans tous les films d'action (dès la fin des années 1980). J'ai découvert moi-même le cinéma hong-kongais avec Le Syndicat du Crime et je crois que je n'aurais pas pu mieux débuter, je ne pouvais que devenir fou, ça explique en partie les nombreuses réserves sur le troisième film de la saga qui n'est à priori donc pas du même style que les deux premiers opus réalisés par John Woo (même si le second opus est une sorte d'hybride car également réalisé par Tsui Hark (oui, oui), mais bon visuellement c'est tout Woo). John Woo est à cette époque viré de la société de production de Tsui Hark (la FilmWorkshop) pour d'autres raisons et, vexé, s'en va alors tourner Une Balle dans la Tête, qui est le véritable Syndicat du Crime 3 tel que l'aurait imaginé John Woo (le film est très inspiré de Voyage au Bout de l'Enfer mais dans un style typiquement hong-kongais, Woo étant fan de Michael Cimino). Donc ce sentiment de rejet, c'est un sentiment presque logique, sans y faire attention et au départ de bonnes intentions, de la part des admirateurs de John Woo. Par ailleurs, Le Syndicat du Crime 3 n'est de toute façons pas considéré comme un indispensable de Tsui Hark, mais est depuis peu de plus en plus réhabilité d'autant qu'HK Video a sorti dans le coffret dvd de la saga une version longue director's cut (visiblement) qui serait plus réussie que le montage international plus distribué, et donc celui que tu as du voir à l'époque. Bon il faut dire que pour voir ce cut il faut le coffret collector c'est quand même pas super accessible, donc y a mieux en priorité.
Donc pour en revenir à nos moutons, la filmographie de Tsui Hark. Pour découvrir le cinéaste je pense qu'il faut découvrir un film fort, un peu comme lorsque l'on découvre Sergio Leone où Kubrick, on voit directement leur meilleurs films et on prend sa claque ou pas j'ai envie de dire (sincèrement, y a de la demi-mesure quand on découvre des œuvres aussi fortes que Le Bon, La Brute et le Truand ou Full Metal Jacket ? Bon je suis un peu radical, certes)
Il y a forcément plusieurs axes et périodes dans sa filmo mais si on ne cherche qu'à dégager le meilleur, voici:
-The Blade (1995) est effectivement à recommander (j'en reparle plus bas). Sortis en france dans une copie qui offre un travail titanesque de restauration.
-Il Etait une Fois en Chine (1991), dans une veine historique à grand spectacle (avec tout ce que ça comporte de respirations du récit et tout), ne pas oublier de voir l'épisode 2 aussi si le 1 vous rebute par son trop plein de personnages car c'est justement "corrigé" dans le 2 qui au passage est un immense, immense chef d'œuvre.
-Peking Opera Blues (1986) comme l'a fait Spiriel (je crois que ça doit être le seul gars dans tout l'occident à avoir découvert le bonhomme par ce film jamais sorti en occident justement, à moins qu'il ai été projeté dans des festivals, on ne sais jamais mais à ma connaissance pas pour ce film). Ce film en tout cas est une sorte de grand best of de la magie du cinéma HK, c'est imparable! D'ailleurs pour Spiriel, une analyse de la première scène du film ici. Bon c'est un peu intello (je trouve) mais c'est intéressant quand même et c'est très bien illustré.
-Histoires de Fantômes Chinois (1987), film d'heroic fantasy mêlant comédie, épouvante et romance qui n'est pas officiellement réalisé par Tsui Hark mais c'est certains qu'on lui doit presque tout (en gros, Ching Siu-Tung le réalisateur crédité se serait juste occupé des scènes d'action, ça tue un mythe vis à vis de Tsui Hark là). Il faut par ailleurs savoir que Tsui Hark a réalisé de nombreux films qu'il n'a pas signé mais qu'il a produit car il n'est jamais content du travail des autres et ne peux s'empêcher ainsi de tout faire lui même (c'est pas du vent, c'est prouvé par de nombreuses interviews, par exemple de l'actrice reconnue Maggie Cheung, et puis de toute façons sa patte visuelle et narrative est assez reconnaissable). C'est aussi pour cette raison que c'est un immense cinéaste qui a donc fait la pluie et le beau temps dans le cinématographie de son pays entre 1984 et 1995. Sinon il y a deux excellentes suite à ce film, tout est sorti dans un magnifique coffret dvd en france (cher et devenu rare, par contre) avec des copies magnifiquement restaurées. Je précise aussi que ce film fut projeté au festival d'Avoriaz en France et qu'il avait été assez remarqué par la critique.
-Shanghai Blues (1984), sorte de comédie vaudeville qui se veut un hommage à la screwball comedy des années 40 ou je sais pas trop que Tsui Hark adore (voyez mon ignorance affreuse dans le domaine), mais c'est disponible en France et c'est considéré comme un incontournable du cinéaste.
-L'Enfer des Armes (1980), polar qui raconte la dérive d'un groupe de jeunes qui posent des bombes dans les cinémas dans le HK de l'époque (inspiré de fait rééls qui avaient tourmentés l'actualité locale). J'attire votre intention sur le fait qu'il s'agit de son troisième film seulement (ses deux premiers films nommés The Butterfly Murders et Histoires de Cannibales (We're Going to Eat You) sont impressionnants de bout en bouts aussi mais ici le scénario est mieux), un brulôt incroyable censuré à Hong Kong (semblable au cas Orange Mécanique en Angleterre) que le cinéaste a du retourner en urgence en changeant les éléments dérangeants pour pouvoir sortir le film qui sera de toute manière détruit par la critique et par le public. Cet évènement va forger le caractère de Tsui Hark qui après passera à autre chose et voudra du cinéma divertissement. Le montage original est disponible en version director's cut approved dans un seul pays du monde... la France, dans une édition dvd unique sortis chez HK Video nommé "La Trilogie du Chaos" qui réunis donc ses trois premiers films (tous des fours au box office local, mais les deux premiers étaient salués par la critique de l'époque) facilement trouvable sur les sites genres priceminister and co. C'est une pièce de collection que le monde entier nous envie, je le conseille vivement d'autant qu'il y a aussi le montage international du film ce qui permet de comparer, sachez aussi que Tsui Hark lui même fut étonné que les équipes de HK Video aient retrouvés une copie originale du film car le cinéaste pensaient qu'elles avaient toutes disparues. Enfin il faut noter qu'aujourd'hui le film est réhabilité et qu'il est paru tout récemment dans un top 10 de tous les temps du cinéma HK fait part un panel de critique hong-kongais, c'est assez surprenant.
-Green Snake (1993), l'histoire de deux démons serpents qui souhaitent devenir humain, inspiré d'un conte chinois. Genre de romance fantastique teinté d'érotisme à la chinoise (ceux qui ont aimés Histoires de Fantômes Chinois aimeront) dont seul Tsui Hark a le secret. Etonnant, et visuellement unique. Avec Maggie Cheung plus envoutante que jamais, sorti en france aussi.
-The Lovers /b, considéré comme un de ses meilleurs aussi donc, mais je l'ai pas encore vu.
-Time & Tide (2000), bien que les fans sont plus partagés mais croyez moi c'est parce que le film est très inventif (je n'arrive plus à lire que le scénario est mal foutu, ce que réponde 50% des gens, quand je sais que moi je l'ai vu 6 fois dont la quatrième fois dans dans une salle comble qui a applaudi à l'apparition du générique de fin et que j'ai compris le film seulement à la troisième vision et qu'ensuite j'ai compris que c'est justement le scénario qui fait que ce film est si incroyable. Y a un moment donné le public doit faire un effort, par exemple c'est réputé que les films de Stanley Kubrick sont bien qu'à la seconde vision (je schématise), c'est un peu la même chose pour les films de Tsui Hark donc). Bon puis à part ça ce film est surtout légendaire pour ses scènes d'action et le contexte dans lequel il a été tourné. En 2000, Tsui Hark revient des Etats-Unis où il a été traité comme un malpropre alors qu'il faisait la pluie et le beau temps à HK comme je l'ai dit, et on dit souvent de ce réalisateur qu'il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il est contrarié, souvent en effet ses meilleurs films font suite à des échecs commerciaux. Quand Tsui revient à Hong Kong, il a donc justement envie de montrer à tout le monde que c'est lui le boss (par exemple, il règle ses comptes à John Woo alors considéré comme le meilleur réalisateur d'action au monde en montrant des images de colombes brûlées dans une explosion, et parodie le look de Tom Cruise de Mission Impossible II à travers l'un des personnages), c'est donc aussi pour cela que ce film est si jouissif pour les amateurs de cinéma de l'ex-colonie. C'est un des films d'action les plus inventifs qui soit qui va continuer à inspirer les cinéastes dans le futur et c'est le film qui possède la rupture de ton la plus inattendue que j'ai vu au ciné... Time & Tide c'est un peu 20 ans de thrillers et de films d'auteurs hong-kongais digéré parfaitement (même Wong Kar Wai est parodié sans que vous vous en rendiez compte) pour proposer un truc jamais vu, et donc c'est pas forcément facile d'accès si on connais peu ce cinéma. Un mélange sensationnel de comédie romantique et de thriller urbain, c'est mon film préféré avec Peking Opera Blues!
-Zu, les Guerriers de la Montagne Magique (1983), film d'heroic fantasy bourré d'imagination. C'est un métrage qui peut être fatiguant à suivre parce que le scénario va à 200 à l'heure et que c'est bourré de "chinoiseries" en tout genre, mais pour le dépaysement c'est garanti. Au fait, vous savez que c'est en voyant ce film dans un cinéma de San Francisco que John Carpenter a eu l'idée de faire Jack Burton dans les Griffes du Mandarin ? Là je crois que j'ai plus besoin de dire quoi que ce soit d'autres... euh si, film sorti en france quand même, c'est important.
Voilà voilà en gros. Après moi je conseille vivement la vision de Le Festin Chinois (1995), c'est le film par lequel j'ai découvert le réalisateur lors de sa diffusion sur Arte en 2006. C'est une comédie d'action se déroulant dans l'univers de la cuisine chinoise qui reprend les codes des films de kung-fus (dits kung-f pians), c'est typiquement hong-kongais donc ça permet aussi de s'aguerrir à ce cinéma, et puis il y a vraiment la touche Tsui Hark, les scènes de cuisines sont très inventives et magnifiquement filmées, et le film est riche en rebondissement. Finalement c'est peut être le meilleur moyen de découvrir le cinéaste, et c'est également sortis en france, y a même eu deux éditions dvd différentes.
Une fois que t'as vu tout ça, une ou plusieurs fois (certains films faut les digérer quand même), il reste une filmographie titanesque de films moins indispensables mais qui si tu es fan vont forcément t'intéresser, car même dans le pire film de Tsui Hark il y a plusieurs plans et idées géniales. Aussi, on se demande s'il n'a pas parfois pris un malin plaisir à saboter ses propres films, ceux fait avec Van Damme par exemple, c'est fort possible. Du coup, ces films deviennent aussi indispensables car bourrés d'idées saugrenus, Double Team par exemple (enfin bon c'est pour le fan hardcore quand même, théoriquement on est censé dire du mal de ce film). Par contre, tu prends Piège à Hong Kong (Knock Off), le deuxième et dernier film qu'il a fait avec van Damme, c'est un véritable brouillon visuel de Time & Tide et le film est doté d'une thématique impressionnante sur la contrefaçon qui trouve un écho avec le cinéma de Van Damme (en gros, van damme c'est la contrefaçon du cinéma d'action, il me semble avoir lut ça sur Ed-Wood.net).
Conclusion:
Par ailleurs, si je compare si souvent Tsui Hark à Stanley Kubrick c'est aussi parce qu'il s'est illustré dans de nombreux genres. Par contre, forcément, c'est pas toujours des genres connus du public occidental on va dire. The Blade c'est un Wu Xia Pian, autrement dit un film de sabre chinois (l'équivalent chinois du Chambara japonais), genre extrêmement présent à Hong Kong depuis des décennies mais qui a suivi différentes modes et courants. Or, il se trouve que The Blade, c'est un peu le Impitoyable de Clint Eastwood du Wu Xia Pian, c'est à dire un film définitif qui est là pour enterrer un genre battus en brèches dans tous les sens. Un occidental, quand il voit Impitoyable, il connaît déjà tous ses John Ford, Peckinpah et Sergio Leone sur le bout des doigts (je grossis volontairement). Or, quand un français va voir The Blade, si ça se trouve le seul truc qu'il connais du wu xia pian c'est dans le meilleur des cas un film de Chang Cheh et dans le pire un film de Zhang Yimou (Hero, Le Secrets des Poignards Volants) alors que les films de Zhang Yimou sont des films de Chine continentale, et non des film de culture hong-kongaise comme le sont ceux de Chang Cheh et de Tsui Hark, même s'ils ont la même culture ancestrale la séparation du XXéme siècle n'a pas fait les même mentalités, forcément. Les hong-kongais sont en permanence dans l'urgence, la subversion et le divertissement et ont aussi produits énormément. Les chinois, c'est pas vraiment ça, mais là j'évite d'en parler car je m'y connais pas trop. De toute façons aujourd'hui, le cinéma hong-kongais est en mutation avec celui de la Chine pour sa survie car un film HK aujourd'hui doit toucher AUSSI le public chinois dans le meilleur des cas (les coproductions sont de plus en plus nombreuses). On assiste donc à une sorte d'hybridation mais quelques réalisateurs tentent comme Tsui Hark ou Johnnie To de garder leur spécificités (voir la saga Election de Johnnie To qui dans le second opus, le chef d'œuvre du réalisateur à n'en pas douter, est entre autres une virulente critique mot sur mot et image sur image du pouvoir chinois et le film est logiquement censuré là bas) tout en prenant part parfois à des coproductions car elles deviennent inévitables comme je l'ai précisé.
Tous les derniers Tsui Hark depuis Seven Swords (2004) sont coproduits avec la Chine et tournés en Mandarin et non plus cantonais, son dernier film Detective Dee and the mystery of Phantom Flame (un genre de Sherlock Holmes à la chinoise) va sortir au cinéma en france (sous le titre "Le Juge Ti" à priori) début 2011 et c'est paraît-il une réussite en tout cas il reçoit beaucoup de critiques élogieuses (et a étonné le public à Venise) et a assez bien marché en Chine. Peut être tiens-ton la première réussite artistique du cinéaste depuis... Time & Tide au moins ? Donc oui, les années 2000 ont été très dures pour Tsui Hark...
Voilà pour un petit tour d'horizon du cinéaste, c'est tout pour ce soir sauf si tu veux des éclaircissements sur d'autres choses. Au fait, comme vous l'aurez vu, on a peut être pas tous les films de Tsui Hark en France, mais ceux qu'on a c'est dans des éditions top niveau que je répète le monde entier nous envie (The Blade, La trilogie du Chaos, The Lovers...), c'est dire à quel point les gens qui ont fait ça tiennent à faire découvrir ce cinéaste avec un soin et une démarche réellement pédagogique. C'est un bon argument pour vouloir découvrir le cinéaste pour les amateurs de beaux dvd.
(Au fait, c'est bien Johnnie To, comme Johnnie Walker.)