Le recul, c'est aussi la découverte d'autres choses, qui vont te donner une connaissance plus riche en un domaine, et te permettre d'apprécier selon d'autres critères une création. Quelle que soit la fraîcheur de la mémoire, l'avis va aussi évoluer en fonction de ce qu'on est nous-même au fur et à mesure du passage du temps, pour aboutir à un mélange de ressenti, de recul, d'analyse et non rationnel, qui évoluera d'ailleurs peut-être de nouveau si on refait le jeu après quelques années, mais cette nouvelle exploration, faite avec l'expérience des années passées, contribuera aussi à faire partie de notre perception, et de notre analyse, et à la laisser évoluer avec le temps.
Le recul donc c'est la recherche d'informations et l'enrichissement ? Sur ça je suis plutôt d'accord, mais dans ce cas, une fois que l'on a accumulé du recul, comment juger une œuvre sans l'avoir refaite/vue/lue ? On essaie de faire une sorte de simulation dans son esprit, qui est souvent à des lieues du sentiment que l'on aurait en retouchant à l’œuvre ? Pour moi c'est le condition sine qua none à la réévaluation d'une œuvre, de la sculpture à la peinture en passant par le JV ou le cinéma.
Il faut voir deux choses : si c'est discuté/enrichi dans un laps de temps moyennement court, on a une vision mentale de l'œuvre assez précise. Si cette vision mentale est plus lointaine, le flou contribue aussi à jouer dans une forme de perception de l'œuvre, à mon sens : ce qu'elle a été capable d'apporter comme éléments marquants, comme création mentale, est aussi une forme de jugement, d'analyse. Rejouer/revoir à/une l'œuvre, aussi surprenant que cela puisse paraître, va aussi être une façon de créer du recul ; on va avoir l'expérience de la première traversée, l'expérience du temps écoulé, et notre perception du jeu sera inévitablement plus à même d'avoir une forme d'analyse en première intention.
Après, il ne faut pas considérer que le recul nécessite forcément beaucoup de temps. Simplement en se dégageant un peu du jeu par la réflexion, on peut créer un premier recul ; se dire "tiens, ce jeu m'a touché parce qu'il parlait de deuil, et j'ai perdu quelqu'un de proche juste avant, peut-être que mon expérience personnelle m'a beaucoup influencé dans ma perception du jeu", ça peut être fait juste après avoir posé la manette, et c'est déjà une forme de recul.
C'est typiquement le genre de choses qui me frappe in-game, et non hors du jeu. On s'en rend compte dans le jeu que ça parle du deuil ou de n'importe quel thème, non ? Moi, en tout cas, c'est souvent ça qui déclenche mes émotions et qui du coup amplifie mon ressenti.
Là-dessus, on a plusieurs choses : on peut ne pas en être conscient parce qu'on est happé par le jeu, ou parce que le sentiment est trop présent, trop discret, etc., pour être compris à chaud. Et on peut aussi choisir de se laisser porter par le sensitif pour appréhender l'œuvre d'une certaine manière, et commencer l'analyse juste après l'avoir achevée. C'est une approche qui, comme toutes les approches, se discute, mais qui a ses intérêts. À partir de là, il est important d'avoir ce recul dès qu'on commence l'analyse après coup, clairement.
Quant à "réfléchir" pendant, c'est une chose, mais échanger autour de l'œuvre a posteriori peut aussi contribuer à faire évoluer sa vision, non par une question d'influence, mais par une question d'explication. Si quelqu'un possède une expérience, une information à même de faire évoluer notre connaissance et notre compréhension d'une œuvre, devrait-on la refuser sous raison que l'on ne veut pas être influencé ? Il y a évidemment une différence entre "je me plie à l'avis d'autrui" et "je me sers des connaissances d'autrui pour affiner mon analyse et ma perception", je ne vais pas discuter ce point.
La frontière me semble très mince entre explication et influence (les forums en témoignent, le prosélytisme est souvent très proche). Mais bien sûr, il est idiot de refuser une explication, là n'est pas mon propos. Une explication a posteriori ne peut, à mon avis, pas changer grand chose au ressenti que l'on a sur le jeu puisque le processus de compréhension ne s'est pas effectué une fois que l'on était dans cette relation intime entre l’œuvre et la personne. C'est idiot, mais c'est un peu comme l'histoire des FAQ, le fait qu'une source tiers qui n'a aucunement à trait à l’œuvre délivre une sorte d'information "parasite" casse tout et est bien loin d'influencer mon ressenti.
Tout à fait d'accord avec toi sur la question de la frontière très mince entre explication et influence. Pour le reste, j'ai quand même l'impression que mieux comprendre quelque chose permet d'affiner son regard sur une œuvre, avoir une information a posteriori peut permettre de complètement repenser son analyse, parce qu'on a loupé un point clef. Le sentiment personnel sera probablement étrange, mais l'analytique devrait réussir à faire son travail.