Et si faire le bien, c'était mal?
Dixit les différentes interviews qu'on a pu lire des concepteurs de Fable 2 (Peter Molyneux lui-même), des analyses sur le comportement des joueurs de Fable premier du nom donnait une forte proportion de joueurs préférant le chemin du bien à celui du mal (70 contre 30%) avec une partie des joueurs aux intentions de départ maléfiques qui ont finalement changé d'attitude en cours de partie. Le jeu, plus exactement la licence se faisant fort de cette possibilité de choix, Le leitmotiv du développement de Fable II a donc été de rééquilibrer cette proportion, en favorisant un peu plus cet axe du mal.
Le jeu, on le sait, marque d'une empreinte indélébile l'univers des conséquences de vos actions. Au tout début, par exemple, le quartier de Bowerstone restera populaire ou deviendra pauvre selon que vous aidiez ou non un garde dans votre petite enfance. Au delà de cet aspect relevant pour ce cas de l'effet papillon mais finalement sans grande conséquence sur l'histoire ou le gameplay, le jeu a par la suite, une certaine tendance à plus vous récompenser pour vos mauvaises actions que pour les bonnes. En choisissant les bonnes actions, vous remarquerez ainsi que votre popularité va vite devenir un handicap, les gens se bousculent pour vous voir à votre arrivée vous empêchant toute intimité voir vous bloquent le passage. Plus tard dans le jeu, tenter de sauver un pauvre malheureux partageant votre sort dans la flèche vous coûtera des points d'expérience durement acquis, là encore le crime paie ou plus exactement faire le bien vous coûte. Plus logique peut-être, certains succès ne peuvent être débloqués qu'en choisissant la voie du mal, notamment en sacrifiant votre propre fiancée ou femme à l'autel du sacrifice dans le temple des ombres. Au delà de la marrée d'évènements qui tiennent plus de l'anecdote, pointent deux choix révélateurs de ce point de vue singulier:
Vers le fin du jeu, le héros de l'adresse, Reaver, vous demande de faire une commission pour lui. L'aventure vous conduit alors face à un trium vira d'ombres qui exige de vous de payer de votre jeunesse, afin que Reaver puisse conserver la sienne. A moins que vous ne sacrifiez une pauvre innocente aux mains de ces démoniaques créatures. Le choix est rude et ne propose que 2 issues, si la jeune femme que vous pouvez sacrifier à loisir n'a aucun impact majeur sur l'histoire, en revanche vous sacrifier vous-même altérera votre physique sans possibilité de retour et pour lequel vous aurez peut-être consenti un certain effort depuis le début de l'aventure (privation en tous genres pour se nourrir presque exclusivement de brocolis...afin de garder la ligne).
Le deuxième évènement, à la toute fin, peut vous demander de nouveau un choix draconien. Pour sauver l'ensemble des victimes de Lucien, il vous faut sacrifier vos proches (dont votre plus fidèle compagnon, votre chien, notamment indispensable si l'on veut finir par la suite le jeu de fond en comble avec quelques succès à la clé) ou pour autre choix, une jolie récompense d'un million de pièces d'or (somme qui ne vous est d'ailleurs pas précisée au moment du choix).
Précisons pour la bonne compréhension de la chose que les sauvegardes automatiques du jeu n'autorisent pas l'essai*. Un choix est donc définitif, à moins de recommencer votre aventure depuis le début, et c'est dans cette combinaison fatale que Fable II impacte si bien le joueur. Le jeu ne vous prendra cependant jamais en traitre, vous êtes toujours averti au préalable des conséquences de vos actes.
Fable II pose ainsi ouvertement la question, remet en cause 3 décennies de jeux vidéo toutes unanimes sur un point, la voie du bien est-elle la bonne? Et pourtant les jeux qui nous ont invité à faire le mal sous toutes ses formes ne sont pas rares. Rappelez-vous du fameux Dungeon Keeper où il vous fallait préparer votre antre à des invasions de chevaliers sans peur et sans reproches pour les voir se faire tuer ou manger par l'un de vos sbires dans d'atroces souffrances. Rappelez-vous aussi de jeux comme Legacy of kain (et sa suite Soul Reaver), principalement basé sur la vengeance de son principal protagoniste, pire encore dans un Silent Hill premier du nom où l'on dégommait à coup de tuyau dans une école des monstres informes dont la taille les faisait inévitablement s'apparenter à des enfants, chose qui n'aura pas résisté à la censure en Europe. Et que dire de la non moins fameuse série Grand Theft Auto (ou Carmaggedon et sûrement d'autres bien avant) qui aura fait couler beaucoup d'encre sur le sujet de la violence et même le "gentil" Nintendo dans une forme plus acceptable avec ses différents Wario Land se sera prêté à ce jeu d'inversion des rôles: des "gentils" joueurs qui jouent les "méchants" pour de faux...
La conscience de faire le mal dans ces jeux est pourtant toujours présente, elle est même en premier plan. Elle en devient tellement le motif principal que ces jeux en sont devenu totalement surréalistes. GTA est une vitrine de l'anti politiquement correct, tout ce qui s'y déroule ne doit pas être fait c'est unilatéral (sauf les hamburger et le bowling). Même dans le plus récent Fallout 3, dans un univers pourtant déjà ravagé par les guerres, vos mauvais choix ne font que détériorer, et à forte dose, le peu de paix qui s'était instaurée après plus d'un siècle de pillages, sauvagerie en tous genre, etc. La rancœur dans ces jeux est toujours présente, le sentiment de faire le mal, exacerbé jusqu'à un Manhunt 2 tellement violent qu'il en devient finalement inintéressant, n'est jamais que récompensé par la possibilité de faire encore plus de mal. On en ressort vidé (peut-être pas avec Wario, je vous l'accorde), devant l'évidence que tout ce mal était finalement vain, juste un passe-temps qui ne peut motiver, contrairement à ce que prétendent les journaux qui cherchent à faire du sensationnel, des actes réels. Le mal dans ces jeux est toujours écrit en toutes lettres. Le traitement est similaire, dans des jeux comme Knight of the old republic, où votre maître vous expliquait déjà que faire le bien n'était pas systématiquement la bonne solution, quel que soit le côté que vous choisissez, les conséquences portent dans le même sens que vos choix, faire le bien engendre le bien, faire le mal engendre le mal. La licence Star Wars impose que le choix du côté obscur vous isole, vous affecte physiquement, le mal pour lequel vous optez consciemment n'engendre ainsi que le mal. C'est ainsi que jamais avant Fable II, le choix de faire le bien aura été autant et presque systématiquement pénalisé.
Fable II remet donc les conteurs à zéro**. Il pose la question: Le choix de la bonté est-il forcément le meilleur? Sans aller exploser des villes à la bombe atomique ou trucider le premier pékin venu à coup de tronçonneuse, les thèmes du sacrifice, du crime, de la mort, du sexe et de l'esclavage le tout saupoudré d'argent sont bel et bien présents. La voie du mal, souvent plus profitable ou en tous cas, moins néfaste pour votre auguste personnage ne se dessine d'ailleurs pas dès les premiers instants du jeu. Elle vient petit à petit, insidieusement, jusqu'à ce qu'au tout dernier instant, sous la pression imposée par le choix, vous finirez faible, vieux, après avoir ressuscité des morts mais adulé par une foule plus encombrante que reconnaissante et dans la peur de perdre votre dernier allié, par craquer.
Mais si on ne se limite qu'à cette lecture sommaire du jeu, il ne nous reste qu'à envoyer une armée de juristes aux trousses du pauvre Peter Molyneux. Fable II n'est pas immoral, il fait se poser des questions, il remet le libre arbitre dans les mains du joueur. Chaque choix étant effectué en toute conscience, en toute connaissance de cause. Les bénéfices retirés de nos choix malfaisants sont égoïstes, ils n'impactent que le joueur ou son entourage proche. La satisfaction d'un mauvais choix n'est finalement que virtuellement matérielle, elle vous permettra d'être beau, fort, riche, et peut-être plus encore. Et en définitive, dans les reproches d'Hammer, personnage dont la bonté sera prouvée à plus d'une reprise au cours de l'aventure, suite à votre choix final, on sait tout le mal qu'on fait.
Non, le message finalement très simple de Fable 2, en opposition à tous les RPG, c'est que faire le bien n'est jamais récompensé. Et, lorsque Peter Molyneux livre au monde sa version du Jeu Vidéo dans son premier Fable, pensant réjouir les joueurs de par le monde, ne peut-on pas faire un parallèle avec la volée de critiques négatives qui ont assassiné le jeu plus que de raison?
*Pour les succès des différentes fins, il vous est tout de même possible de recommencer la séquence entre l'obtention du succès et la sauvegarde automatique suivante
**oui, c'est un jeu de mot pourri et non une faute d'orthographe