Je poursuis la réflexion pertinente d'EdlA sur la complexité de Suikoden 1, anti-manichéenne.
[spoiler]
L'impression de gentils contre méchants vient du fait que contrairement aux 2 et 3, il ne s'agit pas de l'opposition de clans différents mais d'une révolution qui tourne en guerre civile, un peu comme le 5. Déjà dans le 5, la complexité des "méchants" mettaient surtout en avant l'aspiration ténébreuse des pouvoirs immenses, représentés par la rune du soleil. Leur idée était juste de renforcer la position de leur pays, car contrairement au régime en place, pour eux la meilleur défense c'est l'attaque. Mais le 1 est encore plus subtil. Certes, les puissants écrasent les miséreux, mais c'est présenté comme une conséquence inexorable de l'exercice d'un pouvoir, même par un dirigeant humaniste comme l'était Barbarossa. D'ailleurs le héros vient du côté des privilégiés, et c'est un concours de circonstances qui va l'amener de l'autre côté, pas l'indignation. Celle-ci viendra plus tard. C'est de tenir promesse à Ted qui va amener le héros "chez" Odessa. D'ailleurs, lors du dialogue pendant les égouts, la géniale Cléo exprime cela à merveille. Ils restent avec le héros par fidélité, et agissent à leur propre guise, ils n'épousent pas de parti. Ces mêmes circonstances qui vont conduire le héros à s'opposer à Pahn, son père et Sonya, sans compter les autres généraux. C'est avant tout un conflit d'intérêt et de position, qui doit beaucoup au hasard.
Bien sûr, certains persos sont cruels, mais ils sont en quelques sortes créés par la situation, le contexte. Suikoden 1 est une illustration de la thèse d'Aristote dans Ethique à Nicomaque lorsqu'il dit que des trois régimes envisageables (royauté, oligarchie et démocratie), le meilleur est en théorie la royauté, mais compte tenu du fait que le caractère humain entraîne systématiquement la déclinaison négative de ces régimes, la démocratie est le régime le "moins mauvais". Sans inégalité, pas de position de force possible, et comme il semble qu'il y aura toujours quelqu'un à vouloir en profiter...
Le seul personnage "positif" est a priori Odessa, mais on découvre qu'elle s'oblige avant tout à nourrir une utopie qu'elle est incapable d'assumer.
Finalement on semble se retrouver dans une situation où deux groupes, ni gentils ni méchants (n'oublions pas non plus ceux qui voulaient, naïvement, ne pas s'y impliquer, comme les nains et les elfes, qui ne sont pas des modèles de gentillesse, tout en étant victimes en fin de compte), s'opposent à cause du chapeautage d'une personne, Windy. Mais la fin éclaire lumineusement ce personnage qui dévoile son ambiguité seulement à la fin. Elle s'est laissée gagnée, par désespoir et solitude, par la perversion insidieuse du pouvoir. C'est explicité par le symbole de son pouvoir : une moitié de true rune... soit quelque chose d'incomplet. Elle nourrit un douloureux sentiment d'infériorité, qui se traduit par sa volonté d'humilier Ted, mais aussi par un compexe vis-a-vis de la première femme de Barbarossa. La colère, qui l'empêche de sombrer dans l'apathie, guide alors ses agissements.
Bon, pour Neclord, c'est plus discutable. Quant à Yuber, le peu qu'on le voit, en particulier dans le flashback, laisse penser qu'il est le mal incarné, mais on sait tellement peu de choses sur lui... en même temps il n'a rien d'humain, comme Neclord d'ailleurs. Pour les autres personnages, on peut se référer à cette citation de Jean Renoir, à propos
de La règle du jeu : "Ce qu'il y a de plus terrible, finalement, dans ce monde, c'est que chacun a ses raisons."
Toute la série Suikoden est avant tout une réflexion sur le pouvoir : Jowy qui insiste, dans la cave, pour récupérer la rune, le rôle controversé du héros de feu dans le 3, la reine qui est contrainte à utiliser la sun rune, avant de le faire de son propre chef...
[/spoiler]
Bref, vivement la suite!